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 Comprendre pour créer, créer pour comprendre....mais encore ? : Youtube un exemple de pratique adolescente

Comme Google, comme Wikipédia, Youtube fait partie de ces sites incontournables sur le web et dans les pratiques de nos élèves. Toujours fidèle à la posture que développe Anne Cordier pour qu’ils construisent leur propre culture numérique et de l’information, je cherchais à proposer à mes élèves une séance autour de Youtube.

Comprendre pour créer, créer pour comprendre....mais encore ?

Les élèves connaissent Youtube parce qu’ils y visionnent des vidéos mais aussi parce qu’ils y partagent de plus en plus souvent leurs propres vidéos (plusieurs élèves dans mes classes en discutent). Pour d’autres, c'est un moteur de recherche de vidéos, alors que c’est une plate-forme de partage : ce sont les internautes eux-mêmes qui proposent les vidéos, et s’apparente à un réseau social puisqu’elle en reprend les codes.

La séance, menée avec ma collègue enseignante de SEGPA, débute de manière coopérative à partir de 4 questions :

- Comment fonctionne Youtube ?

- Qui publie sur Youtube ?

- Qu’est-ce qui est publié sur Youtube ?

- Pourquoi consulter Youtube ?

Chaque élève doit écrire une idée sur la feuille et la passer à son voisin qui la complète à son tour avec une autre idée. Nous corrigeons ensuite ensemble de manière à instaurer un échange. Nous tentons de définir ce qui fait le succès de Youtube (appartenant au groupe Google, les vidéos bénéficient donc d’un très bon référencement ; la question des traces et algorithmes). Nous insistons sur l’idée de "communauté. Certains élèves qui ont eux-mêmes une chaîne ou ont déjà publié des vidéos peuvent partager leur expérience. Les élèves qui acceptent montrent une de leur vidéo à la classe. Là encore une question de fond est soulevée par les élèves : s’ils ont conscience et acceptent sans aucune difficulté que leurs vidéos soient vues potentiellement par l’ensemble des internautes, ils ont parfois de grandes difficultés à les visionner devant la classe, face à des camarades qu’ils « connaissent ». La séparation entre sphère personnelle et sphère scolaire est encore bien présente. Dany Caligula (sa chaîne Doxa est "une webchronqiue dédiée à la lutte contre les préjugés et les lieux communs"), me confiera lors d’un rendez-vous téléphonique qu’il a eu, étant étudiant, les mêmes freins.

Pour éviter les simples « c’est bien », « c’est nul », nous regardons sans commentaires immédiats et chaque élève visionne en suivant une sélection de vidéos de youtubeurs plus expérimentés regroupées sur un mur Padlet.

Les élèves doivent alors compléter une grille : qu’est-ce ce qui, dans ces vidéos, se ressemble, diffère (forme, structure, décors, mots et vocabulaire utilisé…), est-ce que des marques sont citées ou présentées ?. Nous dégageons ainsi un certain nombre de critères, très subjectifs, de ce qui permettrait de caractériser une vidéo « façon youtubeur ».

Youtube, youtubeurs , booktube… et pourquoi pas jobtube ?

Face à nos 9 élèves de 4e SEGPA ultra motivés par cette séance, nous avons choisi de leur proposer à leur retour de stage un projet de création : "conseils pour un stage", "top 10 des attitudes à avoir...".

Le résultat :

Chaque élève ou binôme a été très autonome dans la conception de ces vidéos. Nous avons fourni tablettes, applis… et vérifié les droits d’images et autorisations parentales. Nous n’étions là que pour répondre à leurs questions, les encourager. Au final, nos élèves se sont dépassés, nous ont surpris tout en développant des compétences en info-doc et en EMI (dans la matrice EMI : être auteur, assumer une présence numérique, partager des informations de manière responsable).

Pour approfondir la séance avec des plus grands (ou même nous en tant qu’enseignant(e)s), je vous recommande cette vidéo de Dany Caligula «Argent et publicité : les youtubers doivent-ils être critiqués ? » qui évoque nombre de questions : le modèle économique et la publicité, la course à l’audience, le financement, le salaire, le rôle du compteur de vues, l’idéologie du succès, remise en cause du terme « youtubeur » et comment ces contraintes influencent la création et la créativité. Au-delà des contenus, ce qui est intéressant avec Dany Caligula, c’est ce contraste entre ses pratiques sur la plate-forme et sa défense du libre. Il évoque le problème du financement de la création en France : économie du don, réforme du droit d’auteur, contribution créative.

Cette vidéo aussi de Magali Lesince, professeure documentaliste de l’académie de Limoges qui parle de booktubeurs et de son projet pédagogique : « Les nouveaux "influenceurs" des jeunes sont sur YouTube : Les booktubers, prescripteurs littéraires » et évoque toutes les compétences mises en œuvre dans un tel projet.

Les élèves avaient donc créé leur vidéo...avaient-ils pour autant compris ce qu'était Youtube et les enjeux des vidéos publiées ? Souhaitant aller plus loin encore, la séquence s’est terminée par un entretien filmé avec les élèves. Ces entretiens ont été révélateurs de leur engament dans ce projet : argumenter, affirmation (de soi), parler en "je", être force de proposition, présence active dans la séquence. Cette étape rejoint ce que dit Hervé le Crosnier : « la meilleure façon de comprendre la culture numérique c'est d'en parler ». Nous sommes plusieurs à nous engager dans cette voie, comme Muriel Almayrac à travers des vidéos de ses élèves mais aussi des entretiens sur son blog.

Mon objectif est alors double :

  • Construire ou déconstruire des représentations (Maxime qui dit « utiliser Youtube » alors qu’il parle de « créer avec »), structurer leurs pratiques. Les faire verbaliser aussi ce qu’ils mettent derrière l’idée de « partager » (Maxime parle d'un "partage de connaissances"). Cet acte est souvent spontané chez les élèves mais ils ont du mal à définir les valeurs qu’ils y mettent derrière. Louise Merzeau dans un dossier d’Inter CDI consacré aux Communs souligne à quel point le partage de ses étudiants sur les plates-formes et réseaux sociaux relève plus d’un acte de communication sans aucune (ou peu) de conception des contraintes et des enclosures liées à ce partage.
  • Donner à voir les talents de nos élèves, non pas qu’ils soient meilleurs que d’autres mais donner à voir pour valoriser, partager. Cela passe par ces espaces en ligne mais aussi par des espaces temps dans nos CDI, à l’image des flash masterpieces que j’ai mis en place cette année : un moment éphémère, pour vivre autrement le lieu du CDI « en commun » et partager ses talents avec la communauté du collège. (J’en reparlerai peut être dans un autre billet)

Ce type de séquence, sur un temps long, nous permet, en tant que professeurs documentalistes, de pouvoir conjuguer deux facettes passionnantes de notre métier.

  • Celui de pouvoir observer des pratiques de nos élèves sur les temps où ils viennent en autonomie, de pouvoir dialoguer avec eux de ce qu’ils font quand ils sont « sur » le Web (je renvoie pour cela au questionnaire sur ces pratiques numériques et médiatiques , questionnaire proposé avec le groupe TrAM de Toulouse). C’est une source de motivation pour eux que de parler de leur pratique, des outils qu’ils utilisent, des sites qu’ils visitent. Quel autre enseignant peut se targuer de pouvoir faire ça de façon aussi explicite ? En art peut-être, mais encore cela dépend énormément des contextes familiaux et culturels dans lesquels évoluent les élèves.
  • Celui de pourvoir les porter plus loin, de les sortir de leur zone de confort pour les amener à créer des « chefs-d’œuvre » (Ph. Meirieu). C’est à travers cela que nous développons leur créativité c'est-à-dire un dépassement de soi. La créativité ce n’est pas seulement l’aspect artistique d’une production. C’est aussi et surtout la capacité à proposer de nouvelles questions, à dépasser ses cadres de pensées habituels, à prendre position.

Dans sa thèse Gilles Sahut affirme qu’il ne suffit justement de créer pour comprendre.... de quoi questionner notre enseignement. C’est peut être cette dernière étape (la verbalisation, la conceptualisation) qu’il manque trop souvent par manque de temps et qui permettrait pourtant que se développe la littératie des Communs, c'est-à-dire permettre le développement d’une conscience structurée et critique des Communs chez les élèves. Une conscience d’un lire et écrire dans une logique de savoirs partagés.

NB : cette séance est un prolongement de la séance « Notre environnement médiatique : information et divertissement » que nous avions publiée aux Editions Génération 5

Tag(s) : #Education aux médias et à l'information (EMI), #Cultures numériques, #Créer (Ecrire Publier), #Pédago et littératie
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