Voila maintenant plusieurs mois que je mesure les enjeux d'enseignement pour nous professeurs documentalistes sur les sujets de controverses. J'ai eu la chance d'assister à l'atelier de Virginie Albe "L'éducation aux controverses : enseigner des questions vives" lors de JP ANDEP "L'e-doc à la croisée des cultures : gardons le cap » en octobre dernier. Les échanges avec les professeurs documentalistes et chercheurs présents dans cet atelier m'ont amenée à questionner la méthode de la cartographie des sources, qui ne saurait être une simple sitographie.
Ce travail sur les sources permet d'identifier et clarifier les éléments d'un débat, les thèmes de ce débat. Les enjeux citoyens de compréhension de ces mécanismes me paraissent essentiels dans notre environnement médiatique et numérique. Alors quand mon collègue de SVT a participé à une formation sur "Comment évaluer la qualité des informations dans le domaine de la santé ?", autrement dit des sujets de controverses, j'ai saisi l'occasion pour lui proposer la séance !
Objectifs de la séance :
- Proposer aux élèves une activité d'évaluation de l'information permettant d'augmenter leur exigence vis-à-vis de l'information trouvée sur Internet.
- Comparer quatre sources d'information concernant un des trois sujets sélectionnés.
- Élaborer collectivement des critères d’évaluation des informations et comprendre sur quoi se fonde la validation d'une information scientifique.
- Décoder les arguments en fonction des points de vue et de la source et interroger la crédibilité d’une source :
- collecter et identifier les sources
- analyser les discours
- déterminer des groupes d’acteurs et les catégoriser.
- Développer la capacité à construire une opinion personnelle, réfléchie et argumentée.
- Être capable de construire son propre discours sur un sujet donné.
B2i :
- Je sais relever des éléments me permettant de connaître l’origine d’une information.
- Je sais sélectionner des résultats lors d’une recherche et donner des arguments permettant de justifier mon choix.
1- Le choix des thèmes
Cette séance a demandé un gros travail en amont pour définir des thèmes. Le préalable était de trouver des thèmes connus des élèves.
Nos objectifs étaient que les élèves puissent identifier le type de discours de la source et n'aient pas de surcharge cognitive par la découverte de ce sujet. Nous avons donc choisi : les OGM et les conséquences sur la santé, la consommation de lait et ses conséquences sur la santé, les causes de la disparition des abeilles.
Mon collègue a sélectionné des sites, accessibles pour nos élèves, que nous avons limités, pour cette première approche de la controverse, à quatre sites par thème.
A titre indicatif, voici les autres thèmes sur lesquels nous avons aussi réfléchi : la consommation d'aspartame, les antibiotiques, les vaccins, le réchauffement climatique, les effets des ondes wifi, ...
Selon les disciplines ont peut aussi trouver les dangers d'internet, les conséquences des écrans, la fin programmée du pétrole, le gaz de schiste, l'énergie nucléaire, la consommation d'eau en bouteille, la colonisation, les jeux vidéos et la violence, le clonage, et globalement tous les sujets de société qui font l'actualité.
En fait, les sujets sont nombreux mais plus ou moins difficiles selon l'avancée dans les programmes scolaires et la connaissance du fonds de la question par les élèves.
2- La séance (trois heures)
1e temps : réflexion collective. Définition du terme controverse.
Définition ensemble des critères d’évaluation des informations. A quoi doit-on prêter attention lorsqu'on est sur des sujets de controverses ?
Voici la correction attendue :
2e temps : travail individuel d'identification des sources,
Étape réalisée à l'aide des grilles (inspirées des travaux d'Alexandre Serres ).
Mes élèves étant encore trop peu familiers de ces notions malgré les séances sur la cartographie des sources, nous avons simplifié ces critères.
Il s'agissait, au delà de la cartographie des sources, de se questionner sur l'autorité de la source. C'était ici l'occasion de mettre en pratique la réflexion sur l'autorité que j'avais eu il y a quelques semaines.
3e temps : les arguments
A l'aide de la carte heuristique de la première étape, chaque élève a effectué un relevé des arguments lui permettant de justifier de la validité et de la crédibilité à accorder à la source. Dit plus simplement, les élèves devaient repérer qui dit quoi ? Et comment ?
4e temps : en classe
Discussion orale : la question est-elle tranchée + avis personnel sur la question.
Prolongement possible mais qui, faute de temps, est resté sur le papier :
Rédaction d'une synthèse pour chaque site pour commenter le scoop.it en confrontant les points de vue via un pad.
Quelques remarques :
- Même si je commence à noter que certaines notions (source, auteur, typologie des sites,...) et certains réflexes ont été intégrés, l'exercice de la constitution de critères d'évaluation n'a pas été simple. J'y vois pour ma part deux raisons :
Relever les critères d'évaluation d'un site est une tâche complexe : ces critères sont nombreux et pas figés d'un site à l'autre, obligeant à s'adapter à chaque fois. C'est donc à eux, pour chaque site, de construire leur propre grille d'analyse et de relever les critères pertinents.
Les élèves sont encore assez mal à l'aise avec ce genre d'exercice. Ce n'est pas ce qu'on leur demande habituellement et ils sont un peu désarçonnés. Ici, ce n'est pas tant la réponse en elle-même qui nous intéressait, mais la démarche et la justification de la réponse.
- Face à un site les élèves n'ont pas encore acquis tous les réflexes que nous, adultes et enseignants pouvons avoir. Le premier d'entre est inhérent à la culture générale. Par exemple, pour la réputation d'une organisation ou d'un auteur, nous n'avons pas à réfléchir quand nous sommes sur les sites de Greenpeace ou sur Agoravox. Les élèves, eux, si !
- Certains élèves, par contre, ont trouvé des critères auxquels nous n'avions pas spontanément pensé : le nombre de retweets ou de mention j'aime sur le bouton Facebook.
- Le relevé des arguments a été une tâche difficile pour les élèves. Mais je suis convaincue que c'est par la pratique et la répétition de ce genre d'exercice qu'ils y arriveront plus aisément. Ce type de séance serait à mener dès la 6e.
Quelques pistes pour améliorer cette séance
- Bien que nous ayons choisi des thèmes connus des élèves, peut être aurions nous dû proposer une définition des thèmes à travers par exemple un document de collecte fournis aux élèves à lire avant la séance.
- L'argumentation fait partie du programme de français en 3e. Sans doute cette séance pourrait se faire en pluri-disciplinarité. Une piste à creuser pour l'année prochaine !
En guise de conclusion
Quand je regarde les dix compétences qui seront nécessaires en 2020 selon l'IFTF, quand nos collégiens auront entre 18 et 23 ans, je me dis que la séance proposée pour les élèves de 3e prend toute sa place.
Je crois qu'il serait intéressant aussi de faire le lien sur des sujets de controverses avec d'autres disciplines, en histoire avec la censure et la propagande par exemple.
Enfin, je vous invite à lire la séance menée par Gildas Dimier en lycée qui corrobore mes observations et qui, sur bien des aspects, se rapproche de cette séance.
Les sources qui m'ont aidée à construire cette séance sont nombreuses comme l'attestent les liens dans ce billet. Je renvoie aussi à quelques lectures :
- Travaux de Virginie Albe sur l'enseignement des controverses et des questions vives.
- Que faire des mots-clés aujourd'hui ? Par Frédéric Rabat qui explique « Je ne cherche pas une information sur... Mais un discours sur... parce qu'il est nécessaire à la création de mon propre discours."
- Cartographier une controverse par le GRAP de l'Académie de Rouen
- "Les croyances et l'évaluation de l'information sur Internet" par Tiffany Morisseau - Doctorante au laboratoire Langage, Cerveau et Cognition (CNRS Université Lyon 1 UMR 5304) qui explique que " les croyances individuelles sur la manière dont nos connaissances se forment et s'organisent, dites « croyances épistémologiques », influencent notre évaluation de l'information. Les croyances épistémologiques peuvent ainsi être évaluées par un questionnaire dans lequel l'individu doit se positionner sur une série d'affirmations concernant ses propres connaissances."
Et puis le dernier texte de Anne Cordier sur «Et si on enseignait l’incertitude pour construire une culture de l’information ?», qui nous invite à une " attention aux concepts [qui] doit être portée de manière beaucoup plus importante lors des formations info-documentaires. Cela suppose de s'éloigner des formations méthodologiques, à visée procédurale, et d'avoir le temps nécessaire à l'expression des représentations des apprenants et à l'établissement de situations-problèmes pour favoriser une restructuration cognitive, intégrant les concepts visés."